COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE Préah Vihéar

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No 2013/33  Le 11 novembre 2013

 

Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande)

La Cour dit que, dans son arrêt de 1962, la Cour a décidé que le Cambodge avait  souveraineté sur l’intégralité du territoire de l’éperon de Préah Vihéar

 LA HAYE, le 11 novembre 2013.  La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, a rendu ce jour son arrêt en l’affaire relative à la Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande).

 Dans son arrêt, la Cour

 1) dit, à l’unanimité, qu’elle a compétence en vertu de l’article 60 du Statut pour connaître de la demande en interprétation de l’arrêt de 1962 présentée par le Cambodge, et que cette demande est recevable ;

 2) déclare, à l’unanimité, à titre d’interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962, que la Cour a, dans cet arrêt, décidé que le Cambodge avait souveraineté sur l’intégralité du territoire de l’éperon de Préah Vihéar tel que défini au paragraphe 98 du présent arrêt, et que, en conséquence, la Thaïlande était tenue de retirer de ce territoire les éléments de forces armées ou de police ou autres gardes ou gardiens thaïlandais qui y étaient installés.

Contexte historique

 Le temple de Préah Vihéar s’élève sur un éperon du même nom situé dans la partie orientale de la chaîne des Dangrek, «qui d’une façon générale constitue dans cette région la frontière entre les deux pays  le Cambodge au sud et la Thaïlande au nord».  En 1904, la France (dont le Cambodge était alors un protectorat) et le Siam (ainsi que la Thaïlande était alors dénommée) signèrent une convention prévoyant la création d’une commission mixte chargée de procéder à la délimitation de la frontière entre les deux territoires.

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 L’étape finale de l’opération de délimitation devait être l’établissement de cartes.  Sur l’une d’elles, intitulée «Dangrek  Commission de délimitation entre l’Indo-Chine et le Siam», la frontière passait au nord de Préah Vihéar, laissant ainsi le temple au Cambodge.  Après l’accession du Cambodge à l’indépendance, la Thaïlande occupa le temple de Préah Vihéar en 1954.  Le 6 octobre 1959, le Cambodge saisit la Cour par requête unilatérale.  La carte susmentionnée était jointe à la requête du Cambodge en tant qu’annexe I et fut donc dénommée la «carte de l’annexe I» dans la suite de la procédure devant la Cour.

 Le 15 juin 1962, la Cour rendit son arrêt en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), dont le dispositif se lisait comme suit :

 «La Cour, 

dit que le temple de Préah Vihéar est situé en territoire relevant de la souveraineté du Cambodge ;

dit en conséquence, 

que la Thaïlande est tenue de retirer tous les éléments de forces armées ou de police ou autres gardes ou gardiens qu’elle a installés dans le temple ou dans ses environs situés en territoire cambodgien ;

que la Thaïlande est tenue de restituer au Cambodge tous objets des catégories spécifiées dans la cinquième conclusion du Cambodge qui, depuis la date de l’occupation du temple par la Thaïlande en 1954, auraient pu être enlevés du temple ou de la zone du temple par les autorités thaïlandaises.»

 Le 28 avril 2011, le Cambodge a déposé une demande en interprétation de l’arrêt rendu le 15 juin 1962.

 A la fin de sa requête, le Cambodge priait la Cour de dire et juger que

«[l]’obligation pour la Thaïlande de «retirer tous les éléments de forces armées ou de police ou autres gardes ou gardiens qu’elle a installés dans le temple ou dans ses environs situés en territoire cambodgien» (point 2 du dispositif [de l’arrêt de 1962]) est une conséquence particulière de l’obligation générale et continue de respecter l’intégrité du territoire du Cambodge, territoire délimité dans la région du temple et ses environs par la ligne de la carte de l’annexe I sur laquelle l’arrêt de la Cour est basé».

Raisonnement de la Cour

1. Compétence et recevabilité

 La Cour rappelle que le Cambodge a fondé sa demande en interprétation sur l’article 60 du Statut de la Cour, qui dispose que, «[e]n cas de contestation sur le sens et la portée d[’un] arrêt, il appartient à la Cour de l’interpréter, à la demande de toute partie».  Après avoir examiné la question de savoir si les conditions énoncées à l’article 60 sont remplies, la Cour conclut qu’il existe une contestation entre les Parties quant au sens et à la portée de l’arrêt de 1962, cette contestation se rapportant à trois aspects spécifiques de celui-ci.  Premièrement, il existe une contestation sur le point de savoir si, dans l’arrêt de 1962, la Cour a ou non décidé avec force obligatoire que la ligne représentée sur la carte de l’annexe I constituait la frontière entre les Parties dans la zone du temple.  Deuxièmement, il existe une contestation, étroitement liée à la précédente, sur le sens et la portée de l’expression «environs situés en territoire cambodgien», employée au

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deuxième point du dispositif de l’arrêt de 1962.  Troisièmement, il existe une contestation sur la nature  continue ou instantanée  de l’obligation de retirer ses personnels que le deuxième point du dispositif impose à la Thaïlande.  La Cour observe en outre que la demande du Cambodge est recevable pour autant qu’elle a pour objet l’interprétation de l’arrêt initial et ne cherche pas à obtenir la solution de points qui n’ont pas été décidés avec force obligatoire, ou à aboutir à une revision dudit arrêt.

2. Interprétation de l’arrêt de 1962

 Il est tout d’abord précisé que, aux fins de déterminer le sens et la portée du dispositif de l’arrêt initial, la Cour, conformément à sa pratique, tiendra compte des motifs de ce dernier dans la mesure où ils éclairent l’interprétation à donner au dispositif.  La Cour indique par ailleurs que les écritures et plaidoiries de 1962 sont elles aussi pertinentes aux fins de l’interprétation de l’arrêt, puisqu’elles montrent quels éléments de preuve ont, à l’époque, été présentés à la Cour — et quels éléments ne l’ont pas été —, ainsi que la manière dont les questions soumises à celle-ci ont été formulées par chacune des Parties.  La Cour se penche ensuite sur le dispositif de l’arrêt de 1962.

 Le premier point du dispositif.  La Cour estime que le sens du premier point du dispositif est clair.  Elle s’y est prononcée sur la demande principale du Cambodge en concluant que le temple était situé en territoire relevant de la souveraineté du Cambodge.  La Cour précise cependant qu’il sera nécessaire de revenir sur la portée de ce premier point, une fois qu’elle aura examiné les deuxième et troisième points du dispositif.

 Le deuxième point du dispositif.  La Cour relève que la contestation principale entre les Parties concerne la portée territoriale du deuxième point du dispositif, c’est-à-dire l’étendue des «environs» du temple de Préah Vihéar.  A cet égard, la Cour estime que les limites de l’éperon de Préah Vihéar, au sud de la ligne de la carte de l’annexe I, sont des accidents géographiques naturels.  A l’est, au sud et au sud-ouest de cet éperon, un escarpement abrupt mène à la plaine cambodgienne.  A l’ouest et au nord-ouest, le terrain s’infléchit en une pente moins abrupte mais néanmoins prononcée menant à la vallée qui sépare Préah Vihéar de la colline voisine de Phnom Trap ; cette même vallée, vers le sud, descend dans la plaine cambodgienne.  La Cour considère en outre que Phnom Trap ne fait pas partie de la zone litigieuse et que la question de savoir si elle est située en territoire thaïlandais ou cambodgien n’a pas été examinée dans l’arrêt de 1962.  En conséquence, elle conclut que l’éperon de Préah Vihéar se termine au pied de la colline de Phnom Trap, c’est-à-dire là où le terrain commence à remonter depuis la vallée.  Au nord, la limite de l’éperon est la ligne de la carte de l’annexe I, à partir d’un point, au nord-est du temple, où cette ligne rencontre l’escarpement, jusqu’à un point, au nord-ouest, où le terrain commence à s’élever depuis la vallée, au pied de la colline de Phnom Trap.  La Cour estime que le deuxième point du dispositif de l’arrêt de 1962 prescrivait à la Thaïlande de retirer de l’intégralité du territoire de l’éperon ainsi défini tous les personnels thaïlandais qui y étaient installés, jusqu’à son propre territoire.

 Le lien entre le deuxième point et le reste du dispositif.  La Cour considère que la portée territoriale des trois points du dispositif est la même : la conclusion énoncée au premier point, selon laquelle l’expression «le temple de Préah Vihéar est situé en territoire relevant de la souveraineté du Cambodge» doit être considérée comme renvoyant, ainsi que les deuxième et troisième points, à l’intégralité du territoire de l’éperon de Préah Vihéar.

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 La Cour relève enfin que, dans la présente procédure, la Thaïlande a reconnu que lui incombait une obligation juridique générale et continue de respecter l’intégrité du territoire cambodgien, obligation qui s’applique à tout territoire en litige dont la Cour a jugé qu’il relevait de la souveraineté du Cambodge.  En conséquence, il n’est pas nécessaire que la Cour détermine si l’obligation de retrait énoncée au deuxième point du dispositif est de nature continue ou instantanée.

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 La Cour fait observer que le temple de Préah Vihéar est, du point de vue religieux et culturel, un site important pour les peuples de la région, et qu’il a été inscrit par l’UNESCO au patrimoine mondial.  A cet égard, elle rappelle que, en application de l’article 6 de la convention du patrimoine mondial, à laquelle ils sont tous deux parties, le Cambodge et la Thaïlande ont le devoir de coopérer entre eux et avec la communauté internationale afin de protéger le site en tant qu’élément du patrimoine universel.  En outre, les deux Etats ont l’obligation de ne «prendre délibérément aucune mesure susceptible d’endommager directement ou indirectement» ce patrimoine.  Au vu de ces obligations, la Cour tient à souligner qu’il est important de garantir l’accès au temple depuis la plaine cambodgienne.

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Composition de la Cour

 La Cour était composée comme suit : M. Tomka, président ; M. Sepúlveda-Amor, vice-président ; MM. Owada, Abraham, Keith, Bennouna, Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, M. Bhandari, juges ; MM. Guillaume, Cot, juges ad hoc ; M. Couvreur, greffier.

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 MM. les juges Owada, Bennouna et Gaja joignent une déclaration commune à l’arrêt ; M. le juge Cançado Trindade joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; MM. les juges ad hoc Guillaume et Cot joignent une déclaration à l’arrêt. 

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 Un résumé de l’arrêt figure dans le document intitulé «Résumé no 2013/2», auquel sont annexés des résumés de l’opinion et des déclarations.  Le présent communiqué de presse, le résumé de l’arrêt, ainsi que le texte intégral de celui-ci figurent également sur le site Internet de la Cour (www.icj-cij.org) sous la rubrique «Affaires». 

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Note : Les communiqués de presse de la Cour ne constituent pas des documents officiels. 

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 La Cour internationale de Justice (CIJ) est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies (ONU).  Elle a été instituée en juin 1945 par la Charte des Nations Unies et a entamé ses activités en avril 1946.  La Cour a son siège au Palais de la Paix, à La Haye (Pays-Bas).  C’est le seul des six organes principaux de l’ONU dont le siège ne soit pas à New York.  La Cour a une double mission, consistant, d’une part, à régler conformément au droit international les différends d’ordre juridique qui lui sont soumis par les Etats (par des arrêts qui ont force obligatoire et sont sans appel pour les parties concernées) et, d’autre part, à donner des avis consultatifs sur les questions juridiques qui peuvent lui être soumises par les organes de l’ONU et les institutions du système dûment autorisées à le faire.  La Cour est composée de quinze juges, élus pour un mandat de neuf ans par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies. Indépendante du Secrétariat des Nations Unies, elle est assistée par un Greffe, son propre secrétariat international, dont l’activité revêt un aspect judiciaire et diplomatique, et un aspect administratif.  Les langues officielles de la Cour sont le français et l’anglais.  Aussi appelée «Cour mondiale», elle est la seule juridiction universelle à compétence générale. 

 Il convient de ne pas confondre la CIJ, juridiction uniquement ouverte aux Etats (pour la procédure contentieuse) et à certains organes et institutions du système des Nations Unies (pour la procédure consultative), avec les autres institutions judiciaires, pénales pour la plupart, établies à La Haye et dans sa proche banlieue, comme par exemple le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (ou TPIY, juridiction ad hoc créée par le Conseil de sécurité), la Cour pénale internationale (CPI, la première juridiction pénale internationale permanente, créée par traité, qui n’appartient pas au système des Nations Unies), le Tribunal spécial pour le Liban (ou TSL, organe judiciaire indépendant composé de juges libanais et internationaux), ou encore la Cour permanente d’arbitrage (CPA, institution indépendante permettant de constituer des tribunaux arbitraux et facilitant leur fonctionnement, conformément à la Convention de La Haye de 1899).  

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Département de l’information : M. Andreï Poskakoukhine, premier secrétaire de la Cour, chef du département (+31 (0)70 302 2336) M. Boris Heim, attaché d’information (+31 (0)70 302 2337) Mme Joanne Moore, attachée d’information adjointe (+31 (0)70 302 2394) Mme Genoveva Madurga, assistante administrative (+31 (0)70 302 2396)

Document original en PDF ici

 

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